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Yolande en son marché

Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, elle est là, depuis 20 ans, chaque mercredi matin que fait l’année, toute seule à tenir l’unique et maigre banc du marché de la Jaubertie. Toujours fidèle au poste à 77 ans, Yolande Sirieix propose les produits qu’elle a cultivé dans son potager. Portrait.

L'étal de YolandeEn ce mercredi hivernal, elle est là, statue de chair, figée sur son siège en l’absence du client. Le cheveu blanc en bataille, la peau burinée par le temps, les mains forgées par la dureté du travail de la terre, impassible, à se fondre dans le décor de cette petite place livrée à tous les vents, comme pour éviter de trop contrarier les éléments. Comme un reste de fatalisme paysan. Devant elle, bien alignés, quelques légumes de saison et autres bocaux à sa façon, disposés sur sa petite table pliante ou des cageots posés à même le sol. “Je ne suis qu’une petite paysanne”, commente-t-elle en regardant son étalage. “Je me contente du peu que je fais. Ça me fait un petit complément.” Et elle se souvient du temps où le marché drainait sur la petite place vendeurs et clients. “C’était plein partout. Par la suite, on est resté longtemps à trois. Et depuis plusieurs années, je suis toute seule.”

Une clienteAssise sur son siège de toile, Yolande Sirieix attend le client, emmitouflée dans ses pensées et ses couches de vêtements, bravant le froid hivernal et le vent glacial. Quatre heures durant! Sans lire, se réchauffer, manger ou boire. “Je ne m’embête pas. Et puis je suis habituée à être beaucoup dehors”, minimise-t-elle. Elle arrive de son Jugeals-Nazareth pour 8h, installe son campement provisoire aux bas des trois marches du kiosque. Elle ne repart que bien après midi, une fois que la circulation se soit dissipée. Le jeudi matin, vous la verrez peut-être au marché de la Guierle où elle écoule son invendu périssable.

Le carnet de comptesA ses pieds, sont alignées comme à la parade les poches multicolores de toutes marques qui lui ont servi à amener jusqu’ici les fruits de son potager. Une lourde cargaison dont se charge la septuagénaire, tel le fardeau de la vie. Aujourd’hui, il y a là une grand cageot de pommes de terre, d’autres de poireaux, des potirons de toutes grosseurs, des carottes aux formes biscornues, quelques oignons, un peu de mâche, mais aussi des oeufs ou des fromages provenant d’une autre ferme… sans oublier quelques unes de ses conserves maison. Sur le bord de la table, deux petits pots de confiture côtoient un bocal d’haricots verts maison et un pot de graillons. Le maigre étalage de Yolande se nourrit des saisons. “Houlala, je ne fais que du naturel, sans traitement, sans engrais.” Chez elle, point de légumes soigneusement calibrés: ils ont pris la forme que la terre leur a donné. “On me dit qu’est-ce qu’ils sentent bons vos poireaux lorsque la soupe cuit.” Fierté contenue.

La posture naturelle du jardinierSa présence insolite crée du lien dans le quartier. “Des personnes âgées m’achètent presque rien, juste de quoi manger un peu. Je les plaints, vous savez!” D’autre, plus aisés, repartiront le caddie plein. Certains lui apportent aussi leur pain rassis. “Pour les bêtes. Plutôt que de jeter. Il arrive aussi qu’on me commande un lapin.” Une cliente s’approche. Yolande se lève pesamment. Son genou commence à la faire souffrir; le froid ne va rien arranger. “Autrement, ça va. D’ailleurs, je n’ai pas de docteur.” Sur son banc, point de calculatrice. La pesée se fait à la romaine et les calculs de tête ou sur un vieux carnet à petits carreaux.

"Vous gardez le vert du poireau?"Plutôt taiseuse, Yolande économise ses gestes autant que son verbe et porte un regard fataliste sur la vie, qu’elle prend comme elle vient, souvent avec son lot de labeur. Dans une vie antérieure, elle a élevé ses huit enfants, tout en secondant son mari qui tenait la ferme familiale parallèlement à son travail. “Je suis contente qu’un de mes fils ait repris la ferme, tout en travaillant aussi à l’extérieur. C’est la ferme de mes grands parents. Ils ont tellement bataillé, les pauvres. Ça m’ennuierait qu’elle tombe à l’abandon.” Elle, désormais, passe son temps dans son potager. “Je me plais dans mon jardin. Ho la la, si vous saviez. Les jours qu’il pleut, ça me manque. Quoi faire?” Courbée vers la terre, dans son jardin, comme pour servir le chaland… Et une fois le marché terminé, plus de trace de sa présence. La place Jean-Paul Lartigue reprend son désolement.

Texte: Marie-Christine Malsoute

Photos: Sylvain Marchou

Marie Christine MALSOUTE

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