Laurent Gaudé, président de cette 36e édition de la Foire du livre de Brive, a invité Éric Vuillard, lauréat du Goncourt, à débattre du travail de l’écrivain dans la construction du récit historique. Quand l’Histoire se conjugue au présent.
C’était une rencontre planifiée par Laurent Gaudé bien avant que le lauréat ne reçoive lundi son prestigieux prix, tant le président se dit « interpellé par la voix singulière » avec laquelle Éric Vuillard aborde le fait historique, ne serait-ce qu’à travers 14 Juillet (sur la Révolution française), Tristesse de la terre (la légende de Buffalo Bill) ou son tout dernier L’Ordre du jour (les compromissions qui ont favorisé la montée du nazisme): « comme une forme d’enquête pour rectifier, avec le désir de dire mieux que ce que le monde perçoit du sujet ».
Le fait est qu’Éric Vuillard possède cette plume qui rend plus prégnants et plus actuels des événements passés. Chez lui, le grand fracas de l’Histoire est passé au filtre de l’histoire intime. « Je m’adosse aux faits. Écrire sur l’Histoire est certes un travail d’archives, mais c’est aussi trancher pour écrire ce que l’on ignore. » Vuillard n’a pas son pareil pour piocher dans quelques documents, zoomer sur le détail, « en sentir comme il dit « la vibration » pour ajouter du contraste et de la netteté. Comme dans 14 Juillet où il donne existence à cette foule misérable qui prend la Bastille, sortant ainsi un peuple dont on ne parle jamais de son anonymat.
Éric Vuillard convoque ainsi l’Histoire au présent: « Elle n’est pas fixée une fois pour toute. Le temps où nous vivons est mouvant et change nos perspectives. La littérature est politique, elle est subjectivité. » L’écrivain peut ainsi s’approprier l’espace des impressions sensorielles, des regards que tait l’essai historique. Il invoque le fait pour en organiser le récit, à sa manière à lui. Ce que Laurent Gaudé appelle sa « façon de rentrer dans l’arène de la fabrique de l’Histoire ».
L’un et l’autre s’accordent sur cette faculté de la littérature, et certainement sa nécessite salutaire, à venir contrarier la chose établie. Et Laurent Gaudé de lire un passage de Tristesse de la terre. Quelques lignes décrivant le Wild West Show, cette énorme machine à divertir conçue par Buffalo Bill à grands renforts de faux combats et de poudre aux yeux, celle d’où est née la supercherie de ce cri indien qui n’a jamais existé, ce « whou, whou, whou » la main frappant la bouche que des générations de gamins reproduisent pour la postérité. « Méfions-nous du grand show de l’Histoire qui nous est servi », affirme Éric Vuillard.
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