« On sait qu’on peut être blessé ou perdre la vie, mais on pense que ça n’arrivera qu’aux autres. » Les théâtres de guerre, les OPEX (Opérations extérieures), ces conflits armés qui ne disent pas leur nom, le solide militaire du 126e régiment d’infanterie briviste en avait plusieurs à son actif. « Yougoslavie, Kosovo, Côte d’Ivoire, Sénégal… » Le commun de son métier de soldat. « L’Afghanistan, je l’avais déjà fait en 2008 et j’étais prévu après pour d’autres… »
Cet « après » fait référence à la nuit où sa vie a brutalement basculé. Le 14 octobre 2010 est inscrit à jamais dans sa chair et son esprit. Le caporal-chef de 1ère classe est alors déployé à nouveau en Afghanistan, dans la fameuse vallée d’Uzbin.
« La section avait été héliportée sur des montagnes pour soutenir des camarades en contrebas. Dans la nuit, on a d’abord été attaqué à l’arme légère puis on a pris un tir de roquette. Je ne sais pas pourquoi à un moment, j’ai fait un rouler-bouler sur le côté, je suis incapable de l’expliquer, mais heureusement puisqu’elle a explosé exactement où j’étais juste avant. J’ai pris le blast (effet de souffle, NDLR) et j’ai été polycriblé, polytraumatisé. L’adjudant-chef Thibault Miloche n’a pas eu le temps de bouger… », raconte-t-il sobrement.
Premiers secours sous le feu de l’ennemi, évacuation en hélicoptère vers l’hôpital militaire à Kaboul, opération d’urgence pour extraire des éclats partout dans le ventre, entre le foie, l’estomac et la rate… « Ça s’est joué à 3mm de l’aorte. » Lui s’en sortira, pas son camarade… S’en suit un long parcours du combattant meurti avec des opérations à répétitions, des complications, un choc post traumatique à retardement, 5 ans plus tard.
« J’ai subi huit opérations en deux ans. J’ai failli perdre mon bras, on l’a réparé au mieux… Il a fallu me réopérer pour me retirer un éclat à la tête qui me déclenchait une paralysie faciale, une autre fois au ventre pour me mettre une plaque de 15cm sur 20, pour extraire un autre éclat qui se dirigeait vers l’œil… J’en ai encore plein. »
Une « nuit du 14 » lourde de conséquences qui distille encore insidieusement un venin dans son corps. Si elle a aujourd’hui « fini de le hanter », elle est toujours bien présente même s’il en parle naturellement. « Je vis avec. Avoir suivi la technique EMDR m’a permis de l’intégrer. » Il s’agit d’une thérapie efficace basée sur des mouvements oculaires pour traiter les traumatismes psychologiques. Des blessures bien réelles.

« Quand on a frôlé la mort, on relativise sur beaucoup de choses. J’ai la chance d’être encore là, ce qui n’est pas le cas d’autres. Alors je savoure la vie. » Une vie que ce discret vétéran a dû recomposer avec une invalidité du bras. « Je peux l’utiliser pour le quotidien, manger, conduire… Je n’ai pas à me plaindre, il y a des gens bien plus invalides que moi. »
Le message qu’il aimerait faire passer à travers son témoignage : « Il faut vouloir s’en sortir, se sortir de l’engrenage négatif surtout. On a beau être bien accompagné au niveau médical, familial, professionnel, tout est dans la tête, il faut se prendre en main… Qu’on soit blessé au combat ou dans un accident, ce n’est pas parce qu’on est handicapé, qu’on ne peut pas avoir un métier, une vie, être en équipe de France… J’ai des copains amputés qui font la Diagonale du fou. »
Du passé, de ces 20 ans de service, il n’a jamais fait table rase. « J’ai toujours gardé mon milieu d’amis et parmi eux des militaires, pas seulement au 126. » Ce pratiquant de rugby qu’il a du aussi abandonné, s’est découvert une nouvelle passion pour l’aéromodélisme puis le drone dont il va faire son métier (lire notre article Laurent Merle et son drone de reconversion). « Une façon différente de me mettre au service des autres », explique cet ancien pompier de Paris. « Quand je pilote un drone, je ne pense à rien d’autre. »


Son histoire, il a voulu 15 ans après la raconter dans un livre Vallée d’Uzbin, dans l’enfer des montagnes afghanes avec ce sous-titre 14 octobre 2010 qui vient de paraitre aux éditions Baudelaire. « Les premières dans la liste à qui j’ai envoyé mon manuscrit et qui ont tout de suite étaient d’accord. » Pour lui, « un devoir de mémoire, pour que cela ne tombe pas dans l’oubli. C’est aussi un peu une thérapie. »
Il a tout couché sur le papier : la terreur d’avoir son bras arraché, l’indicible souffrance, ce lien tenu entre frères d’armes, l’autre combat pour la guérison, le corps qui se répare mais les blessures invisibles larvant son quotidien, le TSPT (Trouble du stress post-traumatique) 5 ans plus tard, ce métier qu’il aimait et qu’il ne pouvait plus exercé comme avant, la décision de quitter l’armée, exactement six ans, jour pour jour, après l’attaque… « Lorsque j’ai rendu mon paquetage, enlevé le treillis, c’est comme si je posais un poids. Et je suis passé à autre chose. »
Il raconte aussi le séisme vécu par sa famille, son épouse et ses trois enfants alors en bas âge. Un parcours indélébile qui les a forgés. « Cette expérience nous a transformés, nous a confrontés à nos limites, mais nous a aussi révélé des forces que nous ne soupçonnions pas. »
Valait-elle ce sacrifice que consent tacitement tout soldat et ses proches ? « Aucun regret. Et si je n’avais pas été invalide, j’aurais continué », assure-t-il. Que voudrait-il dire aux jeunes tentés par la carrière ? « C’est un beau métier, mais ce n’est pas un jeu vidéo. Dans la réalité, le sacrifice peut-être ultime. » Son récit rappelle « la bravoure de ceux qui servent », même si comme ils se l’entendent souvent dire, c’est effectivement leur métier. Il invoque « notre responsabilité collective de ne jamais l’oublier ».
Laurent Merle veut ainsi que son témoignage soit « un pont entre ceux qui ont servi et ceux qui ne connaissent la guerre que par les médias » pour « créer une compréhension commune », écrit-il. Un lien armée-nation que cultivera ce samedi 26 avril le premier Festival du livre militaire. Il est ouvert à tous de 10h à 20h à l’Espace des Trois Provinces. Lire notre article Les blessés au cœur du Festival du livre militaire.